samedi 10 mars 2012

B. Potentiels Membranaires : fonction de signalisation

i.      Principe de potentiels et polarisations


Dans les neurones, les modifications du potentiel de membrane servent à la transmission, la réception et la propagation de signaux électriques nerveux. Un potentiel de membrane peut être modifié soit par : un changement des concentrations ioniques de part et d’autre de la membrane plasmique, ou par n’importe quel agent capable de modifier la perméabilité de la membrane à un ion. Cependant, puisque le changement de perméabilité membranaire entraîne l’altération de concentrations ioniques entre le milieu intra et extracellulaire ; lors de la transmission d’informations électriques, seuls les modifications de perméabilité sont essentielles.

Les termes de dépolarisation, repolarisation et hyperpolarisation sont employés pour décrire des modifications de potentiel membranaire par rapport au potentiel de repos.

La dépolarisation
La dépolarisation d'une cellule, en neurosciences, désigne la réduction transitoire du potentiel membranaire : la face interne devient alors moins négative (se rapproche de 0) que le potentiel de repos. Autrement dit, le passage d’un potentiel membranaire de -70mV à -50mV constitue une dépolarisation. Le phénomène de dépolarisation est également observé lorsque le potentiel de membrane s’inverse et devient positif, par exemple lorsque le potentiel membranaire effectue un passage de -70mV à +30mV.


La repolarisation
La repolarisation d’une cellule s’effectue après une dépolarisation. Celle-ci désigne un retour du potentiel membranaire d’une valeur positive à une valeur égale au potentiel de repos. En d’autres termes, une repolarisation est l’inverse d’une dépolarisation, correspondant par exemple au passage du potentiel membranaire de +30mV à -70mV.

L’hyperpolarisation
L’hyperpolarisation est un processus transitoire cellulaire qui se produit lorsque le potentiel membranaire augmente et devient plus négatif que le potentiel de repos. Cela constitue, par exemple, une variation du potentiel membranaire de -70mV à -90mV.


ii. Potentiels gradués


Définition
Les potentiels gradués sont des modifications locales et de courte durée du potentiel de membrane résultant de la présence d’un stimulus : ce sont soit des dépolarisations, soit des hyperpolarisations. Ces changements engendr-ent l’apparition d’un courant électrique local et dont le voltage, ou potentiel mem-branaire, diminue avec la distance. On les appelle alors potentiels gradués parce que leur voltage est directement proportionnel à l’intensité ou la force du stimulus. En somme, plus le stimulus est intense, plus le voltage augmente et plus le trajet parcouru est grand.



Stimulus et types de potentiels gradués
Les potentiels gradués sont déclenchés par des modifications dans le milieu extracellulaire du neurone, entrainant alors l’ouverture locale des canaux ioniques transmembranaires de la cellule. Ces potentiels gradués portent une nomenclature différente selon leur origine et leur fonction. Lorsqu’un neurone sensitif[1] est stimulé par une forme d’énergie (température, pression etc.) ; le potentiel gradué qui en résulte est appelé potentiel récepteur, ou bien potentiel générateur. Mais alors, quand le stimulus est un ligand, (un neurotransmetteur par exemple) libéré par un autre neurone, le potentiel gradué s’appelle alors potentiel postsynaptique. Le terme de « postsynaptique » désigne la position du neurone par rapport avec la synapse ; donc lorsqu’il reçoit un ligand déversé par un neurone présynaptique, un potentiel postsynaptique s’en suit.

Propagation
Il est tout d’abord important de savoir que le cytoplasme et le milieu extracellulaire sont de bons conducteurs. En effet, dès lors qu’il se produit un changement de potentiel membranaire (soit une dépolarisation, repolarisation ou hyperpolarisation), il s’effectue un flux d’ions, qui produit un courant électrique. Ce courant électrique sera ainsi précurseur de l’influx nerveux.


Prenons l’exemple représenté dans ces deux schémas. Dans le premier, on observe une dépolarisation locale de la membrane plasmique au niveau du stimulus. Celui-ci entraîne alors l’ouverture de canaux ioniques[2] locaux réagissant au stimulus, qui donne lieu à un courant se propageant des deux côtés de la membrane entre la région dépolarisée et les régions adjacentes non dépolarisées qui observent leur potentiel de repos.


Schéma 1 : Dépolarisation en rouge.





Schéma 2 : Flèches représentent les courants qui dépolarisent les régions en rouge.


A l’intérieur de la membrane
Autrement dit, les ions positifs (ou cations) présents sur la face interne de la membrane dépolarisée (plus positive) vont migrer vers les régions contiguës (plus négatives). Ces régions sont d’ailleurs plus négatives car elles n’ont pas encore étés dépolarisées. Et inversement, les ions négatifs (anions) présents sur la face interne de la membrane vont migrer vers l’épicentre de la dépolarisation. Les anions et les cations se propagent alors dans des sens opposés, respectivement vers la zone de dépolarisation initiale et en s’éloignant de la zone de dépolarisation initiale. A noter que c’est le sens de mouvement des cations qui décrit le sens du flux du courant, puisque les anions ne font que rebrousser ce chemin. A l’intérieur de la cellule, on assiste donc à une ruée de cations quittant les régions dépolarisées pour s’accumuler dans les zones avoisinantes moins positives, où ceux-ci délogent des anions qui font alors le trajet inverse.

A l’extérieur de la membrane
Ici, les rôles sont inversés, puisque les cations vont migrer vers la zone de dépolarisation (qui est moins positive), et les anions migrent hors de cette région vers des zones plus positives, donc pas encore dépolarisées. On observe alors le phénomène suivant : les anions à l’extérieur de la membrane et les cations à l’intérieur de la membrane se propagent dans le même sens et au même rythme. L’inverse est donc également vrai.

Considérons alors l’intérieur de la membrane (lire en parallèle avec les schémas de la page précédente pour une meilleure compréhension). La ruée de cations vers une région G voisine de la dépolarisation initiale (moins positive) se traduit par  l’accumulation d’ions positifs à cet endroit. Cette zone va alors se charger positivement. L’inverse se déroule alors également à l’extérieur de la membrane : les anions se déplacent dans le même sens et au même rythme que les cations, accumulant des charges négatives à l’extérieur de la membrane, dans la même région G voisine à la dépolarisation. On peut donc dire que la membrane plasmique se dépolarise à nouveau au niveau des zones adjacentes à la dépolarisation initiale. C’est ainsi que le déplacement longitudinal des ions le long de la membrane entraine une modification de potentiel dans les régions proches. En somme, un potentiel gradué est une propagation de dépolarisations, ou d’hyperpolarisations dans le cas inverse, successives le long d’une membrane cellulaire.

Décroissance du potentiel gradué
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent concernant le transport membranaire, toute membrane cellulaire est pourvue d’un certain degré de perméabilité à tous les ions présents dans le cytoplasme ou le milieu extracellulaire. De ce fait, lors du potentiel gradué, de nombreux ions vont diffuser à travers la membrane cellulaire afin d’atteindre l’autre côté de celle-ci. En effet, tout en parcourant de façon longitudinale la membrane, afin d’atteindre un milieu plus favorable aux ions (moins positif pour les cations et moins négatif pour les anions), les ions optent aussi pour la traversée de la membrane. Ceci s’observe par le fait que lors d’une dépolarisation, les cations présents à l’intérieur de la membrane vont migrer vers l’autre côté de celle-ci (devenue alors moins positive) et les anions à l’extérieur de la membrane vont migrer à l’intérieur de celle-ci (devenue alors moins négative). La traversée de ces ions aura comme effet de stabiliser les charges de part et d’autre de la membra-ne et donc petit à petit, de décroître la puissance de la dépolarisation.


Le déplacement des charges est donc décroissant : il est rapidement dissipé et devient nul à partir de quelques milli-mètres de son origine. C’est pourquoi les potentiels gra-dués ne peuvent se déplacer que sur de courtes distances (un maximum de 5mm) à partir du site de dépolarisa-tion initiale sur la membrane plasmique neuronale[3]. Il est toutefois fondamental à la production du potentiel d’action, élément indispensable au fonctionnement du système nerveux humain.

iii. Principes du potentiel d’action


Définition
Les cellules cérébrales communiquent entre elles et avec les cellules d’autres organes (glandulaires, musculaires…) par le biais de potentiels d’action. Généralement, ce sont surtout les neurones et les myocytes (cellules musculaires) qui peuvent générer de tels potentiels. Vulgarisé sous le terme d’influx nerveux, le potentiel d’action est une inversion du potentiel de membrane se propageant le long d’un axone. Il est défini par des caractéristiques qui lui sont propres…

Il est bref ; Durée d’environ 5 à 30ms millisecondes.

Il est transitoire ; L’inversion du poten-tiel membranaire est temporaire, puis se rétablit grâce à une repolarisation de l’axone.

Il est local ; Le potentiel d’action est constitué de dépolarisations locales suc-cessives progressant le long de l’axone de façon longitudinale.

Il est stéréotypé ; Se déroule toujours de la même manière (dépolarisation, repo-larisation, hyperpolarisation), adopte toujours la même forme, et la même amplitude.


Propagation
Suite à une modification du potentiel membranaire dû à la réception de potentiels gradués par la cellule nerveuse, les canaux[4] voltage-dépendants de l’axone, ou plus précisément du cône d’émergence (habituellement[5]) de l’axone s’activent. La mem-brane axonale subit alors une dépolarisation au niveau du cône. Cette dépolarisation ouvre donc les canaux sensibles au voltage de la région adjacente à la dépolarisation initiale qui ouvrirons les canaux suivants, et ainsi de suite. Cette modification de potentiel se déplacera alors le long de l’axone en faisant office de signalisation électrique.

Codage de l’intensité du stimulus
Sachant que tous les potentiels d’action sont identiques une fois produits, comment le système nerveux parvient-il à identifier l’intensité du stimulus afin d’émettre une réponse appropriée ? En pratique, les stimuli intenses se traduisent par la production de potentiels d’action à plus grande fréquence que les stimuli faibles. Le corollaire de ceci étant que l’importance du stimulus est codé par le nombre de potentiels d’action produits par seconde. Les neurones reconnaissent alors le degré d’intensité du stimulus grâce à la fréquence des influx qu’ils reçoivent. Le maximum théorique d’influx produits par seconde est de 500, mais en pratique, ce nombre tourne plutôt autour de 100.
iv. Déclenchement du potentiel d’action

Différents stimuli et loi du tout ou rien

Précurseurs du potentiel d’action, certains stimuli, sous forme de potentiels gradués, doivent être reçus et incorporés par le neurone avant qu’il puisse « faire feu ». Il existe surtout deux types de stimulus :

Les stimuli infraliminaires : qui, de part leur nom, désignent des dépolarisations trop peu importantes pour déclencher un potentiel d’action.

Les stimuli liminaires : entrainant des dépolarisations où le potentiel membranaire dépasse le voltage liminaire, autrement dit, suffisamment important pour provoquer un potentiel d’action.

Le déclenchement d’un potentiel d’action obéit à une loi du tout ou rien. En effet, le cône d’émergence de l’axone déclenche le potentiel d’action à pleine amplitude ou ne le déclenche pas du tout. Cette caractéristique « blanc ou noir » du potentiel d’action signifie qu’il n’existe pas de signal nerveux intermédiaire : tous sont égaux, donc stéréotypés.

Mais le facteur critique à l’amorce d’un potentiel d’action est la quantité totale de courant circulant à travers la membrane durant un stimulus : [Q = I x t][6] Ainsi, les stimuli forts dépolarisent rapidement la membrane, alors que les stimuli faibles doivent être appliqués plus longuement pour que le potentiel de membrane dépasse le voltage liminaire. Les stimuli trop faibles quand à eux ne déclenchent jamais de potentiel d’action puisqu’ils se dissipent avant même que le seuil d’excitation soit atteint.

Seuil d’excitation

Pas tous les phénomènes de dépolarisation ne produisent des potentiels d’action. Ces dépolarisations doivent atteindre une certaine amplitude, un certain pallier, qui, cité précédemment, porte le nom de seuil d’excitation. Les changements de polarités membranaires neuronaux font essentiellement intervenir deux ions : sodium (Na+) et potassium (K+). Et c’est le sodium qui assure les dépolarisations des cellules cérébrales en diffusant à l’intérieur de celles-ci, et en les rendant plus positives.

Le seuil d’excitation (Ve) est alors déterminé par le potentiel de membrane, lorsque celui-ci parvient à une valeur donnée, entre -55 et -50mV. Cela correspond au moment où le voltage associé au flux d’ions Na+ vers l’intérieur de la cellule est assez important pour activer les canaux sodiques voltage-dépendants environnants et produire un cycle de rétroactivation.
Cycle de rétroactivation
Quand une modification de polarité au niveau de la membrane plasmique atteint son seuil d’excitation, le processus de dépolarisation/repolarisation est assez conséquent pour assurer sa propre continuité : l’activation des canaux ioniques environnants se poursuit d’elle-même. En effet, l’augmentation de la perméabilité membranaire aux ions due à l’ouverture d’un nombre croissant de canaux intensifie la modification de polarité. Cette modification, à son tour, augmente le nombre de canaux voltage-dépendants ouverts, et de ce fait, la perméabilité (et par extension la conductance) de la membrane aux ions croît. On appelle ceci un cycle de rétroactivation.


v. Etapes du potentiel d’action

La production du potentiel d’action repose sur trois phénomènes liés modifiant la perméabilité membranaire : la dépolarisation, la repolarisation et l’hyperpolarisation. Comme énoncé précédemment, ces évènements sont provoqués par l’ouverture et la fermeture ordonnée des canaux voltage-dépendants à sodium et potassium présents sur l’axone du neurone.

1) Etat de repos
Le potentiel de repos est maintenu normalement et tous les canaux voltage-dépendants sont fermés car les vannes d’activation les bloquent. Or, remarquez que le canal à sodium possède deux vannes capables de réagir au changement de potentiel membranaire :

La vanne d’activation : fermée au repos qui s’ouvre rapidement en réponse à une dépolarisation.
La vanne d’inactivation : qui bloque le canal une fois que le sodium est proche de son potentiel d’équilibre.


2) Dépolarisation
Lorsqu’une cellule cérébrale reçoit un potentiel gradué spécifique[7], les vannes d’activation des canaux sodiques s’ouvrent rapidement. La période de dépolarisation est possible grâce au driving force très important de l’élément sodium (Na+), d’environ -131mV  lors du potentiel de repos; il va donc diffuser en quantité très importante le long de son gradient électrochimique : vers l’intérieur de la cellule. Cet afflux de charges positives va dépolariser la membrane jusqu’à atteindre un cycle de rétroactivation, ici responsable de la phase ascendante du potentiel d’action. Durant cette phase courte (environ 1ms) du potentiel d’action, la perméabilité membranaire au Na+ est environ 1000 fois supérieure à celle de la cellule en période de repos. C’est ainsi que l’intérieur de la cellule devient de moins en moins négatif et que le potentiel de membrane s’inverse et grimpe jusqu’à une valeur d’environ +30mV,  un maximum appelé pic du potentiel.


3) Repolarisation
La phase de dépolarisation cesse d’elle-même après environ 1ms car les vannes d’inactivation des canaux sodiques voltage-dépendants se mettent en œuvre, et empêchent la diffusion de Na+ à l’intérieur de la cellule. En outre, puisque le cytoplasme devient de plus en plus positif, il offre une résistance supplé-mentaire à la rentrée du sodium chargé positive-ment, la dépolarisation ralentit alors de façon croissante avant de s’arrêter complètement.

Mais alors que le pic du potentiel d’action approche, les vannes lentes des canaux potassiques voltage-dépendants commencent à s’ouvrir. La différence de potentiel étant de +30mV au moment du pic, le driving force du potassium est alors de +118mV. Il s’effectue ainsi une très forte diffusion de l’élément K+ le long de son gradient électrochimique : du milieu intracellulaire vers le milieu extracellulaire.

Un autre cycle de rétroactivation s’opère alors, où le potassium qui s’échappe su-scite un rapide décroissement des charges positives à l’intérieur de la cellule couplé d’un fort accroissement de charges positives à l’extérieur de celle-ci. Le potentiel membranaire baisse alors jusqu’à atteindre son potentiel de repos. En somme, cette phase (d’environ 2 ms) de repolarisation est constituée d’une brusque diminution de la perméabilité sodique et d’une forte augmentation de la perméabilité potassique.


4) Hyperpolarisation
La période de forte perméabilité membranaire aux ions K+ dure plus longtemps que le temps qu’il n’est nécessaire à la cellule pour revenir au potentiel de repos. La perte excessive de potassium cause une « suraccumulation » de charges positives dans le milieu extracellulaire et donc un creusement de potentiel membranaire. On observe alors sur le tracé du potentiel d’action un léger abaissement du voltage transmembranaire en dessous de la valeur du potentiel de repos, atteignant environ -80mV. Le driving force potassique s’affaiblissant, la force de diffusion de cet élément s’atténue jusqu’à la fermeture des vannes d’activation des canaux potassiques. De plus, c’est lors de cette phase d’une dizaine de millisecondes que se réactivent les canaux sodiques : la vanne d’inactivation se relâche, alors que la vanne d’activation reste fermée.


5) Retour au potentiel de repos
Vers la fin de la période d’hyperpolarisation, les canaux reprennent leurs formes originales et se préparent au prochain potentiel d’action. La perméabilité mem-branaire aux ions K+ et Na+ est restituée à celle observée lors du potentiel de repos. En revanche, contrairement au gradient électrique, le gradient chimique n’est pas rétabli à la fin du potentiel d’action. C’est en réalité l’action de la pompe Na+/K+ ATPase qui effectue la redistribution ionique. Bien que contre-intuitif, cette redistribution est effectuée très rapidement puisqu’en réalité un potentiel d’action ne fait varier la concentration sodique intracellulaire que de 0.08%. Sachant qu’il y a plusieurs milliers de pompes par axone, ces petits déséquilibres sont donc rapide-ment corrigés.

vi. Quantification électrique du potentiel d’action

Dépolarisation

Durant la phase d’amorce du potentiel d’action, soit immédiatement après l’atteinte du seuil d’excitabilité, la conductance du sodium grimpe de 0.2 S/m2 à 295 S/m2, ce qui représente une augmentation en conductivité de 1475. Autrement dit, au commencement du cycle de rétroactivation, le courant dû aux ions Na+ traversant la membrane plasmique est de :

I = gna+ x (VeVEq.Na+)
I = 295 (S/m2) x |(-55 - 61.6) x10-3| (V)
I = 38.822 A/m2

Ce résultat représente approximativement une augmentation du courant électrique traversant la membrane plasmique de 41 000% par rapport au courant électrique observé lors du potentiel de repos. Le flux d’ions à travers une membrane durant son potentiel d’action dépend donc énormément de la conductivité de celle-ci.

Mais allons plus loin. Afin de quantifier cet influx nerveux au niveau atomique, il est nécessaire de pousser le raisonnement. Sachant que le diamètre moyen d’un neurone est de 75mm, soit 75x10-6 mètres, je calcule sa surface (de formule 4pr2) :

S = 4p x (37.5x10-6)2
S = 1.77x10-8 m2

On sait de plus que gna+ = 295 S/m2. Calculons alors la conductivité totale au sodium d’une cellule neuronale en dépolarisation lors d’un potentiel d’action :

295 x 1.77x10-8 = 5.2x10-6 Siemens

Ainsi, nous pouvons calculer la valeur absolue du courant traversant une membrane plasmique lors de cette phase du potentiel d’action, en multipliant la conductance totale par le driving force de l’élément sodium. En revanche, le driving force de l’élément sodium est variable au cours du potentiel d’action, puisque cette valeur est définie par rapport au potentiel membranaire, qui passe de -55 à +30mV. Il s’agit alors de moyenner le driving force du sodium :

[(-55 -61.6) + (30 -61.6)] / 2 = -74.1mV

I’ = 5.2x10-6 x |(-74.1)x10-3|
I’ = 3.8x10-7 A (dus au sodium) traversent la membrane plasmique.

Et enfin, il est établi que la charge d’un ion monovalent[8] est de 1.602x10-19 Coulombs. Puisque l’on connaît l’intensité totale du courant électrique :

I’/1.602x10-19 = 2.4x1012 ions sodium traversent la membrane par seconde, et puisque la dépolarisation dure environ 1ms, ceci équivaut à dire que la dépolarisa-tion du potentiel d’action fait intervenir 2.4 milliards d’ions Na!

Repolarisation

Alors que la conductance membranaire aux ions Na+ est facilement mesurable tout au long de la dépolarisation, la conductance aux ions K+ durant la repolarisation l’est beaucoup moins. Ceci s’explique par le fait qu’une fois le potentiel membranaire atteint la valeur du seuil d’excitation, les vannes d’activation de tous les canaux sodiques s’ouvrent immédiatement. La conductance augmente donc drastiquement au moment de la dépolarisation et reste constante jusqu’au pic du potentiel d’action.

En revanche, puisque les vannes d’activation des canaux potassiques sont plus lentes, et moins synchronisées, la valeur de conductance du potassium au cours de la repolarisation est moins stable. Il est alors nécessaire de moyenner cette condu-ctance, gk+ = 125 S/m2, ainsi que le driving force du potassium, VDf = 68.5 mV. On a alors :

I = 125 x 68.5x10-3 x Surface de la cellule
I = 1.55x10-7 A

Ce courant est 2.5 fois moins grand que celui engendré par les ions sodium car la conductance de ce dernier est bien plus élevée, démontrant encore une fois l’importance de cette propriété membranaire. De la même manière qu’avec le sodium, on trouve un courant total de 1.65x10-7 Ampères, soit un mouvement d’environ 1012 ions par seconde. Ramené aux 2ms de la repolarisation, cela nous fait un total de 2 milliards d’ions K+ se propageant au travers de la membrane.


Il n’est alors pas surprenant que cette valeur coïncide avec le nombre d’ions sodium intervenus lors du potentiel d’action, car les modifications de polarité membranaire sont essentiellement dues au mouvement de ces deux ions. Le fait que le potentiel de membrane soit revenu à sa valeur de repos signifie que les flux ioniques se sont compensés : l’un dépolarise, l’autre repolarise. La petite différence subsistant tout de même entre ces valeurs indique qu’il ya eu un influx sodique excédant l’influx pota-ssique. Ce déséquilibre chimique et électrique est rétabli par l’action des pompes Na+/K+ ATPases (expliqué précédemment) ainsi que par l’hyperpolarisation membranaire, qui permet au potassium de restituer son gradient chimique.

Ces graphiques montrent l’évolution de la conductance et perméabilité membranaire aux ions Na+ et K+ lors du potentiel d’action. A noter que la perméabilité et la conductance sont deux caractéristiques liées et fondamentales de la membrane cellulaire, mais qui ne s’appliquent pas au même domaine ; la conductance est un terme électrique, la perméabilité un terme chimique.

vii. Propagation d’un potentiel d’action

Principes

Afin que le potentiel d’action fasse office de signal électrique interneuronal, cet influx doit se propager le long de l’axone. La dépolarisation engendrée par la diffusion d’ions sodium produit des sortes de courants locaux qui dépolarisent alors à leur tour les régions voisines de la membrane plasmique en s’éloignant du point d’origine de l’influx nerveux. L’influx parcourt donc longitudinalement l’axone en partant de la dépolarisation initiale. De ce fait, de nouvelles dépolarisations subséquentes s’effectuent dans les régions adjacentes en faisant intervenir de nouveaux canaux et de nouveaux ions: le potentiel est « regénéré » en tout point de la membrane. Celui-ci ne diminue donc jamais en intensité : il garde la même amplitude.

Dans l’organisme, les potentiels d’actions sont toujours produits à l’une extrémité de l’axone. En revanche, il n’est qu’habituellement produit au niveau du cône d’émer-gence. La propagation traditionnelle est caractérisée d’orthodromique, soit, partant du corps cellulaire vers les terminaisons axoniques. Pourtant elle peut également être de la forme antidromique, autrement dit, allant des terminaisons vers le corps cellulaire.

Périodes réfractaires : absolues et relatives

Mais alors, qu’est-ce qui empêche un potentiel d’action de parcourir un axone jusqu’à mi-chemin puis de rebrousser son trajet soudainement ? C’est en réalité la présence de périodes réfractaires qui permettent cette propagation unidirectionnelle. La période durant laquelle les canaux sodiques sont ouverts caractérise l’instant de période réfractaire absolue. Cette période décrit la dépolarisation et le début de la repolarisation de la courbe du potentiel d’action ; elle s’étend du moment de l’ouverture des canaux à sodium jusqu’à leur blocage par les vannes d’inactivation. Au cours de cette période, le neurone est incapable de répondre à un autre stimulus, quelle que soit son intensité, car tous ses canaux sont déjà ouverts.



La phase succédant immédiatement à celui-ci est appelée période réfractaire relative. Celle-ci correspond à la dépolarisation et à l’hyperpolarisation de la membrane axonale. Certains canaux sodiques commencent à se réactiver alors que les canaux potassiques restent encore ouverts. Il faut alors un stimulus exceptionnellement intense pour rouvrir à nouveau les canaux ioniques à sodium et produire un potentiel d’action.

Conduction continue

 

La propagation continue du signal nerveux repose sur le principe que le potentiel d’action parcourt un axone basique. Autrement dit, les canaux ioniques sont peu mais équitablement espacés, et la dépolarisation est régénérée en tout point et le voltage ne décroît pas. En revanche, ce type de propagation est lent car les canaux sont relativement proches les uns des autres : la dépolarisation doit alors s’effectuer de nombreuses par « point » de l’axone. En outre, le temps de latence due à l’ouverture des vannes de canaux sodiques est régénéré à chaque influx ionique, ce qui ralentit considérablement la conduction électrique. Ce type de propagation permet néanmoins une vitesse de transmission du signal électrique d’environ 15 à 25 m/s (54 à 90 km/h).

 

Conduction saltatoire


Nous venons de voir le cas de la conduction nerveuse au sein d’un axone non myélinisé, dé-pourvu de graines de myéline[9]. Ces graines iso-lent le courant à l’intéri-eur de l’axone, ce qui permet une perte mini-male de voltage. Entre ces graines on retrouve des espaces appelés nœuds de Ranvier. Ceux-ci comportent une très haute concentration de canaux ioniques voltage-dépendants, environ 10 000/mm2 (comparé aux 200/mm2 sur les axons non myélinisés). Les potentiels d’action sont alors générés uniquement au niveau de ces nœuds. On peut voir d’après le schéma que la dépolarisation au niveau du nœud 1 (node 1) est assez importante pour déclencher une dépolarisation au niveau du nœud 2 (node 2). Le potentiel d’action de propage ainsi à une vitesse d’environ 120 à 150 m/s (432 à 540 km/h) et donne l’impression qu’il est transmis de nœud en nœud, d’où le terme de saltatoire.






[1] Les neurones sensitifs ou récepteurs constituent le premier « niveau » de la perception dans le système nerveux. Ils sont responsables de la traduction des signaux physiques dans notre environnement en signaux chimiques et électriques.
[2] Les canaux ioniques impliqués dans ce processus sont notamment des canaux ligand-dépendants (dans le cas d’un potentiel postsynaptique) ou des canaux activées par d’autres stimuli tels que la température, la pression etc. (dans le cas d’un potentiel récepteur ou générateur). En revanche, les canaux voltage-dépendants de la membrane plasmique ne s’ouvrent pas, car le changement de potentiel membranaire issu d’un seul potentiel gradué ne suffit pas à déclencher leur réaction.
[3] A noter que le potentiel gradué est un phénomène débutant exclusivement au niveau de la membrane plasmique du corps cellulaire et non au niveau de l’axone. Ceci s’explique par le fait que les canaux ioniques à l’origine du potentiel se situent sur la membrane plasmique du corps du neurone, pas sur l’axone (qui ne contient que des canaux ioniques voltage-dépendants).
[4] Les canaux transmembranaires figurés ici sont tous des canaux ioniques.
[5] Voir page 20.
[6] Avec ‘‘Q’’ étant la quantité totale de courant (en Coulombs : unité de chargé élémentaire), ‘‘I’’ étant l’intensité du courant électrique et ‘‘t’’ étant le temps en secondes. Cette formule est intéressante car elle nous donne la quantité totale de charge s’étant déplacée de part et d’autre de la membrane, et par extension, la modification de voltage transmembranaire. Sachant que les canaux voltage-dépendants (à l’origine de la production du potentiel d’action) ne s’ouvrent qu’en réponse à un changement important de potentiel de membrane, leur ouverture, et donc la production du potentiel d’action sont directement liées à cette formule.
[7] Voir « Sommation des PPS ».
[8] Un ion monovalent est un ion portant une charge, comme l’ion sodium Na+ ou l’ion chlorure Cl-. Il existe également des ions bivalents (Ca2+), trivalents (Fe3+)…
[9] La myéline est une substance fabriquée par des cellules spécialisées : les oligodendrocytes dans le système nerveux central, et les cellules de Schwann dans les système nerveux périphérique. Elle est peu épaisse, d’environ 1 à 2mm de longueur, constituée principalement de lipides, et sert à insoler et protéger les axones. Elle est présente sur de nombreuses fibres nerveuses ; notamment celles de la matière blanche dans le cerveau.



Table des Matières



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